As Long As You Are

As Long As You Are

En 2014, Singles, le quatrième album de Future Islands, révélait le groupe aux yeux du grand public ; trois ans plus tard, son successeur, The Far Field, sonnait comme une invitation à ralentir. « On avait fait dans les 800 concerts et puis, quand on a fait Letterman [un célèbre talk-show américain], on est soudainement devenus célèbres, pour la première fois de nos vies », révèle le chanteur, Samuel T. Herring, à Apple Music. « À 30 ans, on s’est retrouvé sur le devant de la scène, ce qui est un peu étrange. Tout ça a pris une proportion qui nous dépassait, ce qui nous a poussés à déléguer pas mal de décisions pour simplifier notre quotidien. En ce moment, on essaie au contraire de récupérer ces responsabilités. » Tandis que The Far Field a été enregistré en un temps record pour profiter de l’engouement généré par Singles, As Long As You Are a demandé à la formation de Baltimore une année entière d’enregistrements, de réenregistrements, de retouches et de réécritures avant sa version finale. On y retrouve Herring, dans une relation amoureuse toute fraîche, qui aborde — pour la première fois — des questions politiques à l’actualité brûlante avec la même passion que s’il s’agissait de chansons d’amour. « Ce qui est marrant, c’est que quand on a commencé à sortir ensemble, j’ai dit à ma copine que je n’écrirais jamais de chanson sur elle », plaisante-t-il. « Je voulais pas tout faire foirer, comme j’ai fait avec les autres personnes sur lesquelles j’ai écrit. Mais il y a toujours un moment où on se retrouve à écrire sur sa vie, sur ce qu’on ressent. Avoir cette personne dans ma vie, cette personne qui me faisait confiance, et réciproquement, ça m’a donné suffisamment de recul et de confiance en moi pour écrire sur les sujets qui me faisaient peur. » Il nous fait découvrir ici ce nouvel album, morceau par morceau. Glada « Le glada [milan royal], c’est une espèce d’oiseau qu’on trouve en Suède, un oiseau de proie avec une large queue en forme de V. C’est une chanson qui a été écrite dans la campagne au sud de la Suède, dans la région du Skåne. Dans la culture suédoise, c’est vraiment important de passer du temps dans la nature — l’été, c’est quasiment interdit de rester à l’intérieur de sa maison avant d’aller dormir. C’est une chanson sur la renaissance du printemps, et sur une autre renaissance, qui a été de retrouver l’amour avec Julia, à la campagne. Et je crois que la vraie question dans la chanson, c’est celle de savoir si on mérite ou pas l’amour qu’on nous porte. À l’époque où on s’est rencontré, j’avais abandonné tout espoir de trouver ce type d’amour-là, de ceux qui te font perdre tes moyens, comme un amour de jeunesse. On mérite tous ces sentiments positifs, c’est un peu la signification de l’oiseau. » For Sure « J’ai toujours trouvé que même si notre musique était assez sombre, elle était aussi profondément optimiste. C’est cette idée qu’on retrouve dans une chanson comme “Light House” — qui parle de suicide — et dans cet espoir que quelqu’un viendra te sauver de toi-même. Les gens trouvent cette chanson optimiste parce qu’elle l’est. C’est dans cette chanson qu’on retrouve le plus cette compréhension profonde de l’amour et de la confiance, et cette liberté d’être soi-même. Et ce qui nous donne aussi le courage de faire ce qu’on a vraiment envie de faire, parce qu’il y a quelqu’un pour nous le donner. » Born in a War « Je travaille toujours en partant de mes sentiments, de mes impressions. Je me fixe pas d’objectif — le monde entier m’inspire, surtout en ce moment. Pour moi, la question des violences à l’arme feu aux États-Unis pèse énormément. Là où j’ai grandi — là où on a tous grandi, avec Gerrit [Welmers, le claviériste] et William [Cashion, le bassiste] , tout le monde possède des armes et tout le monde chasse. Et après, ils vont à l’église. C’est ça la vie, là-bas. Le deuxième couplet de la chanson parle d’un homme à qui on dit d’être plus viril, sur le mode : “Pourquoi t’as pas d’arme ? C’est quoi ton problème ?” C’est l’un de mes passages préférés de l’album : “Raised up in a town that’s 80 proof/Shotgun shells under every roof, every jail” [Dans la ville où je vis, l’alcool titre à 40 degrés / Des impacts de balles sous chaque toit, dans chaque pénitencier]. C’est notre façon de penser, la prison qu’on s’est construite nous-mêmes. » I Knew You « Cette chanson, c’est une histoire vraie. Ça fait partie des trucs que j’ai écrits sur une personne dont j’ai promis qu’elle ne ferait plus jamais l’objet d’une chanson, c’est le contrat entre nous — c’est une personne emblématique dans le travail de Future Islands. Un soir, elle a complètement pété un câble. Et il fallait que je le couche à l’écrit, que je raconte cette histoire. “C’est une relation qui a existé par la musique, et c’est en musique que je vais y mettre fin”, voilà ce que je me suis dit. On m’a dit que j’étais toxique pour cette personne, que j’ai détruit sa vie. C’est ce que je dis dans la chanson : j’étais heureux d’entendre ça. Cette personne est partie sans me permettre de tirer un trait sur notre relation. Elle est partie sans un mot. Donc ça a été ma manière de passer à autre chose. » City’s Face « Pour “City’s Face”, je me suis inspiré d’une relation vécue, la seule relation que j’ai eue à Baltimore. C’est de cette relation que parle “Seasons”, et ça parle de quelqu’un qui m’a vraiment fait du mal. Cette personne m’a trompé sans vergogne et m’a rendu parano dans ma propre ville. Je méritais pas ça. Et elle méritait pas ça non plus. Je me dis que je me complaisais un peu dans ce rôle de victime et que je regardais pas la vérité en face. C’est un dingue de détester un endroit juste à cause d’une personne. » Waking « J’ai un peu galéré avec celle-là. Parfois, les gars écrivent des chansons tellement cool et efficaces que je me sens incapable d’en faire quoi que ce soit. On en est arrivé à un point, dans notre culture, dans notre société, où on ne sait plus se poser et se taire, où on ne sait plus ne rien faire. Même un truc aussi simple qu’aider ses voisins. Ça, ça veut vraiment dire quelque chose. Ça veut vraiment dire quelque chose de dire bonjour. Ça veut dire quelque chose de tendre la main aux gens de sa communauté. C’est une chanson qui parle de nos tendances autodestructrices et de notre besoin de les surmonter. C’est l’idée que, parfois, le plus dur c’est de commencer quelque chose dans notre quotidien, pour essayer d’être meilleurs. » The Painter « Pour moi, “The Painter” parle de la question de la couleur de peau aux États-Unis et de la manière qu’on a de voir les choses, de les dépeindre. On a tous fait des écoles d’art, mais je me suis toujours dit que le truc le plus incroyable qu’on pourrait faire, c’est d’arriver à faire un tableau que tout le monde verrait exactement de la même manière. Du genre : “Pourquoi on arrive pas tous à le voir de la même manière?” Il faut comprendre qu’on mène toutes ces batailles idéologiques, mais à la base on parle quand même de la vie des gens, il devrait pas y avoir de débat. Alors “The Painter” parle du rouge et du bleu, mais aussi du noir et du blanc. Ça parle du rouge, du blanc, du bleu, et de ce que ça peut bien vouloir dire. Je pense que ça parle des gens qui peignent les choses comme ça les arrange, et puis qui disent qu’ils ne font pas attention à la couleur de peau, alors que c’est tout ce qu’ils voient. C’est une chanson à charge, une chanson qui supplie ces gens d’ouvrir les yeux. Parce que c’est pas une peinture, c’est la vraie vie. » Plastic Beach « J’ai des complexes depuis que je sais ce que ça veut dire. C’est une chanson qui parle de ces luttes qu’on mène en soi-même. J’ai passé des années à me regarder dans le miroir et à essayer de me changer. Et puis tous ces moments où on se dit qu’on aime sa famille, ce qui fait d’eux ce qu’ils sont et puis là on regarde son propre visage. Comment on peut le détester, alors qu’il possède tous ces traits qui viennent de notre famille ? Je pense qu’avec Letterman et tout ça, on a commencé à faire attention à des choses qui nous échappaient auparavant, par exemple le fait qu’on puisse devenir un mème ou une blague sur Internet. Et les gens se rendent pas toujours compte d’à quel point ça peut nous affecter. “Plastic Beach”, c’est une sorte de remerciement envers les gens qui nous voient comme on est, qui voient les gens comme ils sont en général. Et avoir l’occasion de remercier tous ces gens qui nous entourent et qui nous aiment pour ces raisons-là, ça me touche. » Moonlight « C’est une chanson d’amour, tout simplement. Une chanson d’amour sur la dépression. Et encore une nouvelle chanson sur l’importance de s’accepter comme on est. Le passage : “So we just laid in bed all day/I couldn’t see/I had a cloud in my arms [Alors on passait nos journées couchés / Je ne voyais plus rien / J’enlaçais un nuage]”, ça veut dire “Je portais un nuage de pluie”. Ce truc gris — c’est ma dépression. “But if I asked you/Would you say it’s only rain? [Mais si je te le demandais / Dirais-tu que ce n’est que de la pluie ?]”, ce qui veut dire : même si tu te sens mal, je t’aime quand même. Tu n’as pas à t’excuser de souffrir, je t’aime quand même. » Thrill « Cette chanson se déroule à Greenville, en Caroline du Nord, où certains d’entre nous sont allés à l’université. Ça parle de se sentir complètement seul à Greenville. Ça parle de dépendance aux drogues. Ça parle de surconsommation d’alcool. Ça parle d’être bourré au bar, tout seul, sans ses amis, et d’avoir les serveurs qui refusent de te servir. Et ça parle de cette solitude, de cette colère, de la peur de se sentir différent, en décalage avec l’endroit. Greenville, c’est la ville universitaire par excellence, et c’est aussi carrément la ville du Sud par excellence. Il y a vraiment un problème de racisme là-bas. Dans la moitié nord de la ville, il y a le fleuve Tar, qui est connu pour ses inondations. C’est une chanson qui parle de ce fleuve sale et épuisé, exploité par les Américains depuis des siècles. Ça parle de tout ce qui se déverse dans cette rivière, de tout ce qui se déverse sur nous, cette expérience typiquement américaine, et de ce qu’on ressentira quand l’eau viendra nous submerger — est-ce qu’on va se noyer ou nager ? » Hit the Coast « J’avais cette vieille console d’enregistrement, qu’on utilisait pour enregistrer des jams et pour répéter entre 2009 et 2011. C’est la vraie console qu’on a samplée ici. J’ai enregistré une boucle avec le micro vocal, et puis on l’a intégrée. Si tu réécoutes, au moment au je dis : « Pressing play on this old tape was a bad move/Reduced to hiss/Some record I love/Some record I’ve missed [J’aurais pas dû mettre en marche cette vieille cassette / Ce n’est plus qu’un souffle / Un de ces disques que j’aime / De ceux que j’ai ratés]”, tu l’entendras. Et puis à la toute fin de la chanson, on m’entend appuyer sur stop — un gros pchonk. Parfois j’ai l’impression que les maisons de disques ont tendance à vouloir te faire commencer sur les chapeaux de roues, en mettant le single au tout début, pour finir sur une note plus sobre. Et nous, on a juste voulu inverser complètement cette vision. Pour nous, c’était logique de finir sur cette note triomphante. »

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