Never Will

Never Will

« Le plus dur, c’était ça : arriver à bien me connaître avant de dire qui j’étais aux autres, ou avant que ce soit les autres qui me le disent », confie Ashley McBryde à Apple Music. Cette conteuse populaire au charisme magnétique et au look tout droit sorti du film Easy Rider a fait ses armes en jouant dans les bars avant d’émerger sur la scène country internationale à la fin des années 2010. « Je n’échangerais mes années de concerts dans les bars pour rien au monde parce que c’est comme ça que j’ai appris à savoir si une chanson était bonne ou pas. Est-ce que j’arrive à attirer l’attention des gens ? Et est-ce que je peux me permettre de la glisser entre deux reprises ? Je pense que de savoir qui j’étais et bien connaître mon style avant même d’aller enregistrer mon premier disque a fait toute la différence. » Les onze nouveaux titres de Never Will, le successeur de Girl Going Nowhere (2018), ne cèdent rien aux priorités du label ou à la pression des radios. Ce qu’il fait, en revanche, c’est mobiliser une narration digne du Southern gothic [un genre littéraire du sud des États-Unis, notoirement incarné par William Faulkner], tout en puisant dans l’esprit transgressif du honky tonk pour mieux ciseler des odes glorifiant l’ambition des travailleurs, montrer de la dignité dans le deuil et multiplier ainsi les relectures habiles des grands thèmes de la chanson américaine. Avec l’aide du producteur Jay Joyce et d’un groupe bien rodé, elle a passé ses chansons à la moulinette de l’expérimentation studio et a développé avec précision chaque type de groove présent sur l’album. Comme elle l’explique : « Si on a une idée un peu étrange, un peu excentrique et qu’on l’a présente en commençant par : “C’est peut-être débile, mais on devrait essayer », Jay sera partant. » Ci-dessous, la chanteuse décortique chaque titre de son nouvel album. Hang In There Girl « J’ai vu cette fille qui devait avoir 14 ou 15 ans, à côté de la boîte aux lettres. La boîte aux lettres avait l’air d’avoir souvent servi de cible de baseball. On voyait qu’elle avait reçu un grand nombre de coups et qu’elle avait souvent été réparée, elle tenait à peine sur son poteau. Je me suis revue, plus jeune, dans ce que la fille était en train de faire. Elle donnait des coups de pieds dans des cailloux, pas vraiment comme une ado en colère contre ses parents, mais plutôt du genre : “Pourquoi je cogne sur ces cailloux ? Pourquoi est-ce que l’herbe est si haute ? Et pourquoi mes fringues je suis jamais la première à les porter ?” Je suis la dernière d’une famille de six et je devais non seulement mettre des vêtements déjà portés, mais en plus c’était des vêtements portés par mon frère. Quand j’ai eu un vélo, c’est pas parce qu’ils ont pu se permettre de me payer un vélo, c’est parce qu’un de mes cousins plus âgés ne se servait plus du sien. Il n’y a rien de mal à ça et je suis fière de la façon dont j’ai grandi. Mais j’aurais voulu lui dire : “Dans quelques années à peine, tu auras l’âge de travailler, tu pourras gagner ton propre argent, t’acheter une voiture et voir du pays. Et je te promets que quand tu partiras, tu seras nostalgique de cet endroit.” One Night Standards « Avec Nicolette [Hayford], on a écrit une chanson qui s’appelle “Airport Hotel”. Le refrain se terminait sur : “Je reste là à me donner des claques pour me punir d’avoir traité mon cœur comme un hôtel d’aéroport”, parce que c’est vraiment pas un endroit où on a envie de rester longtemps. On a décidé de la laisser de côté telle quelle, avec juste le couplet et le refrain, parce qu’on trouvait que quelque chose n’allait pas. Pour notre séance d’écriture suivante, on était trois, avec Shane McAnally. On lui a fait écouter ce qu’on avait et il a dit : “Elle est bien comme ça, il faut juste continuer à avancer dessus et peut-être essayer d’être un petit plus honnête.” Et j’ai répondu : “Bon si les chambres d’hôtel n’ont qu’une seule table de chevet, c’est parce qu’elles sont faites pour les aventures d’un soir [“one-night-standers”, jeu de mots entre “nightstand”, table de chevet en français, one-night-stand, coup d’un soir et “standards”, normes sociales, attentes]. Shane a ensuite dit : “Tu viens de dire “standards” ? Trouve quelque chose qui rime et mets-le à la fin du refrain. Et puis le couplet suivant est venu tout seul. En résumé, ça dit un peu : “Mon chéri, ne t’en fais pas. Reste calme. Je vais laisser la clef de la chambre en bas et tu pourras venir me rejoindre plus tard. Et si tu ne viens pas, ça m’empêchera pas de dormir.” J’ai eu pas mal de critiques quand le single est sorti, avec des gens qui disaient : “C’est pas très féminin de dire ça. C’est vraiment pas élégant pour une fille.” On m’a donné beaucoup de qualificatifs, mais “élégante” n’en fait pas partie. » Shut Up Sheila « Au départ, c’était juste une démo piano-guitare et j’ai adoré à la première écoute, quand Nicolette me l’a envoyée. J’avais jamais entendu de chanson country sur une grand-mère mourante. Et pour moi, chaque occasion de dire un gros mot est bonne à prendre. Mais on a tous quelqu’un dans sa famille, ça peut être quelqu’un de moralisateur ou pas spécialement, pendant les fêtes ou pendant un deuil comme ici, qu’on a juste envie de prendre entre quatre-z-yeux pour lui dire : “J’aimerais que tu la fermes, là maintenant.” Donc si on se retrouve à ronger son frein pendant un dîner de famille, c’est la chanson à écouter. Quand on a mis cette chanson sur l’album, ça m’a rappelé des disparitions dans ma propre vie. Quand j’ai perdu mon père, j’étais super en colère et je me revois à l’enterrement, avec tout le monde qui disait : “Prenons un instant pour prier ensemble”. Et moi j’étais là : “Vous savez quoi ? J’ai pas envie de prier là maintenant, je veux juste être en colère. Je veux me bourrer la gueule et me défoncer, j’ai besoin de m’évader. ” Tout le monde a une manière différente de surmonter un deuil et on ne peut pas forcer les gens à gérer ça d’une manière ou d’une autre, alors il faut les laisser respirer. » First Thing I Reach For « On a écrit ça un matin, avec Randall [Clay] et Mick [Holland]. Randall est sorti verser un peu de whisky dans notre café et on s’est tous grillé une cigarette. On a écrit ça comme une chanson triste. Je me suis ramenée au studio en mode : “Dans mon monde de fingerpicking et de chansons assez tranquilles, il se passerait quoi si on jouait comme si on était dans un bar et que le bar se trouvait dans une salle de bowling ?” Mon guitariste a une Telecaster avec un B-bender [un mécanisme permettant de monter la corde de si, B en anglais, d’un ton, en tirant sur l’attache de la sangle de la guitare], et son père joue de la guitare steel. Donc ça a été assez facile pour lui de trouver un bon riff. » Voodoo Doll « J’avais vraiment envie de faire un truc lent qui tirait plus sur le metal, pour faire du headbanging, mais je ne savais pas trop comment on allait y parvenir. Le groupe aimait vraiment la chanson — c’est juste qu’on ne savait pas trop comment on allait s’y prendre en studio. Alors j’ai dit : “Bon, on va tous jouer ensemble en essayant de faire le plus de bruit possible et ensuite, on mettra un petit instrument en lead. Faisons un truc à la mandoline. On va mettre l’instrument le plus traditionnel dans la chanson la plus rock & roll. Et on va prendre les sons les plus traditionnels possible et les jouer avec des guitares hyper saturées.” » Sparrow « Avec Nicolette, ça fait longtemps qu’on avait cette idée de faire une chanson autour des moineaux. Quand j’ai commencé à me faire tatouer les bras, j’ai d’abord fait faire des esquisses de moineaux sur l’arrière de mes bras. Elle m’a demandé : “Pourquoi deux moineaux ? Pourquoi est-ce que ça a été les premiers trucs que tu as voulu mettre sur ton bras ?” Et j’ai répondu : “Parce que tout le monde sait que les moineaux font le tour du monde sans jamais oublier d’où ils viennent. Ils ont la capacité de s’orienter vers l’arbre qui les a vus naître et c’est une qualité que j’aimerais bien arriver à garder moi-même.” Je savais que Brandy Clark était la bonne personne pour donner vie à cette idée. » Martha Divine « Je crois que c’est la première chanson qu’on a faite ensemble avec Jeremy Spillman. On était dans la crypte d’une vieille église. Et moi, je me disais : “Faudrait qu’on écrive quelque chose de sombre. Ça fait longtemps que j’ai pas écrit de chanson qui parle de meurtre.” On a eu l’idée de ce nom, Martha Divine, qui venait d’une légende urbaine du Kentucky, d’où est originaire Jeremy. On ne s’est pas du tout servi de l’histoire originale de Martha Divine, c’est juste que j’aimais bien le nom. Et je me suis dit : “Bon, et si c’était un peu comme dans ‘Jolene’, sauf que nous on va écrire du point de vue d’une petite fille un peu psychotique, un peu grenouille de bénitier et qui n’arrive pas à lâcher sa mère ? Elle a peut-être 15 ans, ou peut-être 21. Dans ma tête, il fallait qu’elle balance un peu entre réciter des versets de la bible comme une petite fille modèle et vous sourire fièrement avant de vous frapper en pleine tête avec une pelle. Ça m’arrive de faire des blagues sur le fait que les chansons sur l’adultère sont généralement écrites du point de vue de la personne qui trompe ou qui est trompée. Par chance, j’ai réussi à écrire du point de vue de la fille, je sais pas trop comment j’ai fait. Je suis sûr que mon père va particulièrement apprécier cette chanson. Velvet Red « Quand on a commencé à la mettre en boîte, j’étais là : “Les gars, il va falloir qu’on la joue en groupe et qu’on demande à [Chris] Sancho de jouer sa partie basse dessus, parce que c’est vraiment un casse-tête.” Il jouait sur une grosse basse hollow-body et c’est quelqu’un qui vient plutôt du blues et du Motown. Et en moins de deux, on s’est retrouvé avec cette partie de basse qui était vraiment géniale. Comme ça, on garde une ambiance traditionnelle sur “Velvet Red”, qui est la mieux adaptée pour raconter l’histoire, mais on fait pas non plus une overdose de bluegrass. » Stone « Avec Nicolette, on essaie de ne rien coucher sur le papier tant qu’il n’y en a pas au moins une de nous deux qui pleure, soit de rire, soit parce qu’on a touché une corde sensible. Et quand on a touché la corde sensible, on y va à fond. On a chacune un frère qui est mort de façon très, très différente. Ce sont tous les deux des anciens soldats, mais son frère David a été percuté par un véhicule et le mien a mis fin à ses jours. Donc on est sorti fumer, on a tourné autour du sujet, d’abord en essayant d’en rester aussi proche que possible avant de s’en éloigner pour respirer un peu. Et elle a dit un truc qui m’a fait glousser, et en gloussant je me suis dit : “Oh mon Dieu, je rigole comme lui.” Ça me rend dingue, donc j’ai commencé à gueuler. Et elle a dit : “Ben voilà. Si t’es en colère à ce point, c’est parce que tu souffres. Et si tu souffres, c’est parce qu’avant sa mort, tu n’avais jamais vraiment fait attention au fait que vous vous ressembliez. C’est pas grave. Essayons d’écrire en partant de là.” Donc c’est pas complètement sans espoir. C’est plus : “Je vois des petits bouts de toi en moi”. Je crois que j’ai voulu la mettre sur l’album parce que ça m’a fait avancer beaucoup plus qu’aucune thérapie n’aurait pu le faire. Peut-être que ça peut aussi aider quelqu’un à s’en sortir. » Never Will « Matt [Helmkamp], notre guitariste principal, nous a envoyé quelques idées de riffs qu’il avait eues. Ils ont vraiment un super groove. On a commencé à chantonner dessus, et on a trouvé ça : “I didn’t, I don’t, and I never will” [dans la chanson, “Je ne les ai pas écoutés, je ne les écoute pas et je ne les écouterai jamais”]. On parle des gens qui te parlaient mal parce que tu voulais faire de la musique et maintenant, il t’arrive des trucs, comme être nominée aux Grammy et on ne peut pas faire autrement que de se dire : “Tu n’avais rien compris à notre motivation pour faire de la musique, à pourquoi on en faisait et pourquoi on ne jouait que dans des bars. Non mais comment tu crois que t’arrives à jouer dans des stades si à un moment t’as pas joué dans des bars ? Une carrière, ça se mérite. » Styrofoam « Dans le temps, il m’arrivait de participer à une soirée pour auteurs-compositeurs au Blue Bar [à Nashville]. Ça s’appelait le Freakshow. Randall Clay passait sur scène et il commence avec : “Voilà, c’était en 1941”, et je me disais : “Mais qu’est-ce qu’il peut bien raconter ?” Mais une fois au refrain, j’étais morte de rire parce que cette chanson était super marrante à chanter et qu’en plus, on apprenait des trucs. Randall fait partie des rares paroliers à pouvoir faire ça. En grandissant, j’allais souvent manger et boire dans des stations-service ou dans des routiers. Je sais que c’est pas bien d’un point de vue environnemental, mais tout est meilleur dans du styrofoam [un emballage en polystyrène] et c’est juste marrant de le chanter. Et bien sûr, il est mort [en octobre 2018]. On a vraiment voulu lui rendre hommage. Et puis il y avait deux autres chansons de lui qu’on joue en concert et que j’aurais bien aimé mettre sur l’album. Et pour notre dernier jour d’enregistrement, Jay a sorti : “Ce serait sympa d’avoir une chanson en plus, quelque chose qui soit vraiment marrant.” Alors je me suis assise et j’ai joué “Styrofoam”. »

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