Juice

Juice

Le sixième album de Born Ruffians ne contient pas de chansons traitant explicitement de boissons pour le déjeuner, mais il en a toute la teneur rafraîchissante et revigorante. Ce que la formation nous propose avec JUICE, c’est un concentré sans pulpe, une portion éclair de neuf pièces totalisant 30 minutes et pressant à froid la fiévreuse impulsion du mythique groupe The Velvet Underground, y ajoutant des réflexions autodérisoires et attachantes à la Paul Simon et des cuivres dignes de l’E Street Band – courtoisie du saxophoniste invité Joseph Shabason, bien connu pour son travail avec Destroyer et The War on Drugs. Quatorze ans après la parution du premier EP du groupe, JUICE démontre avec brio que le trio torontois composé de Luke Lalonde (guitare et voix), Mitch DeRosier (basse) et Steve Hamelin (batterie) est toujours aussi vigoureux, mais plus précis que jamais en raison des subtiles, mais néanmoins substantielles améliorations à leurs talents respectifs depuis leurs débuts en tant que jeunes et bruyants prodiges. Si JUICE est la manifestation la plus franche de la turbulente esthétique indie rock des Ruffians, il pourrait tout aussi bien en signer la mise à la retraite imminente. « Ça pourrait bien être notre dernier album de rock & roll pur », affirme Lalonde à Apple Music. « Ce projet est issu de la même période créative que celle qui a donné Uncle, Duke & The Chief [en 2018], et dans les deux cas, on voulait aller droit au but avec cette énergie. On a maintenant tous l’impression qu’on a fait le tour de la question à ce chapitre. On a beaucoup parlé d’essayer de faire consciemment quelque chose de différent la prochaine fois. » Voici donc un survol pièce par pièce des potentiels adieux des Ruffians au rock. I Fall in Love Every Night « Je n’écris pas beaucoup de chansons d’amour, mais je réfléchissais à la chance que j’ai d’aimer et d’être aimé, et à comment ça se transpose dans toutes mes autres relations. Le monde est plein d’amour si on est prêt à le recevoir. Je gravite facilement autour de sujets plus sombres, et il y a actuellement dans les médias une trame narrative qui fomente la peur, l’anxiété et la panique – ce qui est normal jusqu’à un certain point –, mais j’ai quand même l’impression que c’est un peu exagéré et que si on change notre perspective juste un peu, on peut arriver à ressentir le contraire de tout ça pendant un moment. » Breathe « J’ai une très mauvaise mémoire. Je suis le genre de gars à dire que je ne m’en souviens pas quand mes amis racontent des anecdotes du passé. D’un autre côté, j’ai parfois des souvenirs qui s’invitent sans prévenir et qui s’imposent comme s’ils m’étaient arrivés hier, alors j’ai eu envie de parler de ça. Ce ne sont pas toujours de bons souvenirs; il m’arrive d’être assis dans le bus et de soudainement m’exclamer à voix haute parce que je viens de me rappeler la fois où j’ai dit quelque chose de vraiment grossier à quelqu’un quand j’avais 11 ans, et je le revis comme si ça venait juste de se produire. C’est un morceau qui parle de la mémoire et de sa façon parfois étrange de fonctionner. » Dedication « Le mot “dedication” est ressorti de l’approche d’écriture automatique que j’adopte parfois pour mes textes; on “jammait” et je répétais sans cesse “dedication, dedication”. J’ai ensuite remonté le courant et réalisé que c’est une perspective très cynique sur l’humanité. Les humains modernes, surtout dans les sociétés colonialistes occidentales, se vouent à la consommation. L’avidité est la locomotive de notre surconsommation et de l’épuisement total d’absolument tout, à un point où nous sommes même prêts à nous autodétruire. Il faut beaucoup de dévouement pour arriver au degré de destruction qu’on a infligé à notre planète. » The Poet (Can’t Jam) « Cette pièce traite de mon insécurité; je me concentre sur ce que je ne sais pas faire et je me remets en question au sujet des choses que je sais supposément faire. Les auteurs-compositeurs ont souvent le syndrome de l’imposteur. On est remplis de doutes, on n’est jamais certains d’avoir mérité ce qu’on a, car on ne croit pas en nous-mêmes. Ironiquement, je pense que le mantra que je répète sans cesse dans ce morceau – “I can’t do this, I can’t do that” – vise à provoquer la réponse opposée. » I’m Fine « C’est essentiellement une chanson d’amour. Il n’y a pas grand-chose de caché derrière la métaphore. Ça parle de voir quelqu’un qui nous renverse ou nous coupe le souffle avant de se précipiter vers – ou de fuir – ce sentiment de luxure. Musicalement, on voulait une “vibe” Jonathan Richman/Modern Lovers de la fin des années 70. » Hey You « C’est la plus vieille pièce de l’album. Maddy Wilde [de Moon King] chantait sur le démo en 2014. Quand on a décidé de la sortir des boules à mites pour ce projet, on lui a demandé d’y chanter de nouveau. C’est une autre chanson d’amour. Depuis qu’on l’a écrite, je vois toujours cette scène de film totalement cliché où un garçon va chercher sa cavalière avant leur bal de finissants. Le père de la jeune femme ouvre la porte et laisse entrer le jeune homme, puis sa cavalière apparaît en haut de l’escalier et c’est “Hey You” qui joue pendant qu’elle descend, au ralenti. » Squeaky « C’est le texte le plus dense de l’album. Je l’imagine comme un court métrage : ça commence à la fin de l’histoire, la protagoniste est en train de préparer un feu de camp dans la forêt – c’est évidemment une métaphore, comme c’est souvent le cas avec le feu. Puis, dans le deuxième couplet, la caméra fait un travelling vers l’espace et on voit le soleil briller au loin et les autres planètes qui orbitent autour, des planètes où se trouve peut-être une autre personne, le regard tourné vers le ciel en se demandant si nous sommes là-haut. Je parle du fait qu’on est si incroyablement petits et insignifiants à l’échelle de l’univers, mais aussi du fait qu’un seul individu sur notre planète peut créer un changement qui affectera tout le monde et de comment on a tous le pouvoir d’être ce feu qui amènera un changement positif. » Hazy Wave/Wavy Haze « “Wavy Haze” est arrivée en premier. C’est une chanson qui parle de mémoire, plus précisément de mes souvenirs de ma première année après le secondaire, quand j’habitais dans une maison à Toronto avec Mitch et Steve. On a failli intituler l’album “Wavy Haze”, puis on a décidé que ce serait le nom idéal pour notre nouvelle étiquette – on a fait nos débuts ensemble à l’âge de 15 ans et on est maintenant propriétaires d’une maison de disques. Le titre nous a semblé une métaphore parfaite à la lumière du sujet de la pièce. On avait l’intention d’interconnecter toutes les chansons de l’album pour créer un tout, mais en fin de compte, on ne l’a fait que pour les trois premières et les trois dernières. On a donc conçu “Hazy Wave” comme un interlude reliant “Squeaky” et “Wavy Haze”, afin de faire la transition entre la tonalité en sol et celle en do. Et comme c’est une pièce qui parle de mémoire, on voulait que “Wavy Haze” émerge d’un brouillard sonore de bourdonnements, de boucles de synthés et de vagues de cymbales. »

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