Friends That Break Your Heart

Friends That Break Your Heart

« Le cinquième album, c’est très souvent le meilleur », confie James Blake à Apple Music. « Tu as déjà pu te faire la main sur les albums précédents, essayé plusieurs directions, généralement atteint la trentaine, une période où tu extériorises pas mal de choses. Alors tu peux enfin décider d’être toi-même. Et tout d’un coup, tout le monde trouve ça génial. » Friends That Break Your Heart est le cinquième album de Blake. Bien qu’il soit trop modeste pour le consacrer lui-même comme son meilleur album, il n’en est pas moins vrai que ce nouvel opus diffère de ses prédécesseurs de manière revigorante. On retrouve la charge émotionnelle toujours présente chez Blake, mais qui détonne ici à travers un arsenal sonore plus pragmatique et spontané. « Je n’avais jamais écrit de chansons de façon aussi directe », se réjouit-il. « Sur les chansons tristes comme sur les chansons plus optimistes, je retranscris chaque émotion en version plus brute que sur mes deux albums précédents, au moins. Sur ceux-ci, j’essayais de comprendre certaines choses, et me voici, toujours là, mais à 32 ans, je commence à avoir davantage confiance en moi dans plein de domaines. Il y a beaucoup d’assurance dans cet album. » Le titre joue sur le motif classique de l’album post-rupture — et chronique le déroulement de séparations amicales. « Quand on parle de quelqu’un qui coupe les ponts avec un ami, j’ai l’impression qu’il n’y a pas de protocole prédéfini », remarque-t-il. « Les gens s’attendent à ce qu’on tourne la page très rapidement à la fin d’une amitié très longue et très profonde. Mais un ami de longue date, c’est rare et précieux. » Peut-on imputer la déréliction de certaines relations à la crise sanitaire de 2020-2021 ? « Je pense que ce qui s’est passé renforce la pertinence de cet album », constate-t-il. « On a perdu certaines des conditions sine qua non de l’amitié. Et ça nous a donné le temps d’analyser et de réfléchir aux qualités nécessaires à l’amitié — et de prendre acte de nos propres échecs. Et le fait d’être une pop star de seconde zone infantilisée n’offre pas les meilleures conditions pour être un ami irréprochable. C’est aussi quand j’ai eu le plus besoin qu’on soit là pour m’aider, que je me suis rendu compte que la plupart de ces personnes-là ne savaient pas du tout quoi faire. » Blake ne cache pas avoir eu besoin d’aide dans le passé, et, par chance, les différents confinements se sont avérés bénéfiques pour l’élaboration de ce nouvel album, ce qui a engendré des répercussions positives quant à sa santé mentale. « Je me suis rendu compte que j’avais acquis une vraie maîtrise de ma santé mentale », relate-t-il. « L’impact des confinements, ça a été de m’obliger à dire : “Je peux vraiment y arriver. Je suis capable de fermer la porte à telle ou telle émotion, et de vraiment m’extraire de certaines situations.” Auparavant, je mobilisais d’autres solutions. Et je pense que ça rend la création musicale plus naturelle, parce qu’en étant présent et en surmontant nos problèmes de santé mentale, on devient plus créatif. » Blake nous fait découvrir ici ce somptueux album, morceau par morceau. Famous Last Words « Je ne me prends pas trop la tête avec l’ordre des chansons. Pour moi, c’est comme un DJ set, et dans un DJ set, il faut qu’il y ait des hauts, des bas, et des moments d’accalmie. Je passe tellement de temps à écrire et à produire la chanson en elle-même, que quand j’arrive au moment où il faut réfléchir à la tracklist, je me dis : “Allez, c’est bon, mets une chanson après l’autre, mec.” C’est pas une chanson d’amour. Mais c’est un peu une chanson d’amour en même temps. C’est plutôt une chanson de rupture. C’est bizarre. Pour moi, ça brouille les frontières entre amitié et romance. Avec l’amitié, c’est pas vraiment que le sentiment soit forcément romantique, mais on peut aimer quelqu’un sans ambiguïté et être blessé tout aussi profondément. » Life Is Not the Same « Parfois, il y a des gens qu’on rencontre et qui provoquent quelque chose en nous. Parfois, ils rayonnent, tout simplement, et sans trop qu’on sache pourquoi, on se met à se comporter différemment ou à dire des choses, qu’on dirait pas d’habitude, pour les impressionner, et ça ne veut pas forcément dire qu’on est faible ou influençable — bon, ça veut peut-être bien dire qu’on est facilement influençable — mais il faut vraiment que la personne soit très spéciale pour que ça fasse ça. Il m’est arrivé de changer ma façon d’être pour quelqu’un d’autre, et c’est quelque chose dont j’assume pleinement la responsabilité. Il y a certaines personnes, par exemple, qui m’ont fait comprendre que j’avais besoin de m’endurcir et que j’étais trop enclin à céder le contrôle à quelqu’un d’autre. J’avais clairement besoin de croire davantage en moi, parce que j’étais tellement impressionnable à l’époque qu’il pouvait m’arriver de sous-estimer ma propre valeur. » Coming Back (feat. SZA) « J’étais en session avec [l’artiste et autrice-compositrice américaine] Starrah, qui a mentionné en passant que SZA allait venir au studio. Alors je lui ai fait écouter quelques trucs, on a chanté par-dessus, et on s’est super bien entendu. En revanche, il nous a fallu un peu de temps pour comprendre comment produire ce qu’on avait trouvé. Pour faire court, ma prod ne fonctionnait pas. On entendait bien que nos voix se mariaient parfaitement avec SZA —mais je ne voyais pas vraiment comment accompagner sa voix parce qu’il n’y a pas de refrain dans la chanson. On est accoutumés à ce genre de structures dans nos sociétés, alors quand on les déconstruit, il faut mettre quelque chose à la place. Un peu comme avec le pain sans gluten. Je me suis rendu compte qu’il manquait de punch, qu’il fallait que ce soit plus orienté club. J’ai essayé de faire un truc ambient, j’ai essayé de faire quelque chose de vraiment beau, et ça n’a pas marché. Je savais que j’avais ça en stock, et de temps en temps, il faut mobiliser un peu ce pouvoir. » Funeral « Cette chanson, c’est moi de A à Z. Ce jour-là, il faisait très beau mais je me sentais un peu déprimé. Je réfléchissais au sentiment de ne pas être entendu, et d’avoir l’impression que les gens t’ont abandonné. C’est quelque chose que j’ai tout particulièrement ressenti pendant le confinement. Ça faisait pas mal d’années que j’étais devenu célèbre et que j’étais mis en avant à travers des trucs comme des interviews. » Frozen (feat. JID & SwaVay) « L’instrumental est assez inquiétant, et la voix se présente de façon un peu décalée, presque flippante. JID et SwaVay envoient du lourd sur ce beat, que j’avais d’abord écrit pour JID. Au final, ça ne s’intégrait pas bien à son album, ce que j’ai trouvé parfait parce que secrètement je voulais le garder pour moi. C’est un peu comme quand tu t’arranges pour que l’autre personne annule ce que vous aviez prévu — j’adore ça. Jameela [Jamil, la partenaire de James Blake et coproductrice de l’album] a eu l’idée d’inviter SwaVay, parce que ça faisait deux ou trois ans qu’on travaillait ensemble. C’était bien vu. Bon réflexe d’A&R. » I'm So Blessed You're Mine « On peut répartir les chansons de cet album entre les créatures de Frankenstein, passionnantes à assembler, et les chansons qui se sont faites très naturellement. Celle-là était un peu entre les deux, et j’ai eu la chance de collaborer dessus avec des gens que j’adore : Khushi, Dominic Maker, Josh Stadlen, Jameela. J’essaye de laisser de la place pour qu’on obtienne le meilleur morceau possible. Et faire un peu la conversation avant de s’y mettre. On discutait pas trop sur mon premier album, disons parce que j’avais beaucoup trop d’anxiété sociale. » Foot Forward « Metro Boomin est de retour ! Il sait que je suis fasciné par l’ésotérisme alors il m’a fait écouter un sample de piano fait sur une MPC [Music Production Center, un échantillonneur et séquenceur emblématique du hip-hop et de l’électro] qui évoquait des sonorités des années 70 mais avec une touche Metro Boomin. J’ai commencé à improviser et je me souviens que je le voyais danser dans la cabine parce que ça sonnait tellement bien. C’était vraiment un hymne. J’ai fini par en faire une chanson avec l’aide de Frank Dukes et Ali Tamposi, un autre génie qui a écrit la mélodie du refrain. » Show Me (feat. Monica Martin) « Monica est une chanteuse et une personne incroyable — elle est vraiment à mourir de rire, et on est devenu potes. La chanson semblait un peu vide sans elle. Il fallait faire venir quelqu’un, et il fallait que ce soit exactement la bonne personne, sinon ça n’aurait pas du tout fonctionné. Encore une fois, c’était une idée de Jameela. Elle est venue au studio avec Khushi et moi, a enregistré sa prise exactement comme je me l’étais imaginée, et c’était splendide. J’étais super motivé, elle aussi, et c’était vraiment un moment magnifique. » Say What You Will « Ah, cette atmosphère onirique des années 60. C’est ma chanson préférée parmi toutes celles que j’ai écrites ces dernières années. C’est la chanson qui en dit le plus sur ma vie en général. Ça donne une bonne représentation globale de mon état d’esprit actuel, et j’aime bien les chansons qui englobent beaucoup de choses. J’étais très satisfait des retours que j’ai eus, parce que j’ai vraiment essayé de retranscrire, de manière tout à fait authentique, où j’en étais à ce moment-là. À ce niveau de ma carrière, ça peut difficilement en être autrement. J’ai jamais changé ma recette pour sortir des chansons. Une bonne chanson dévoile quelque chose, quelle que soit la situation. Il faut qu’elle touche les gens, sinon je la laisse tomber. Ça m’est arrivé de sortir des chansons qui n’ont pas trouvé d’écho dans le public, pour une raison ou pour une autre. » Lost Angel Nights « Ça parle de pas mal de choses, mais en premier lieu c’est surtout la peur d’avoir raté une opportunité importante. Et ça s’adresse peut-être à quelqu’un en particulier. Cette manière qu’ont certaines personnes de capter ce qui fait votre originalité, de la copier puis de passer à autre chose, en fait. J’ai eu beaucoup de chance dans ma carrière, mais je pense qu’à un moment, on se contentait d’admirer ce nouveau truc à la mode, de faire pareil, et de tourner la page. On en a plus besoin. Ça arrive à beaucoup de gens, mais il faut arriver à s’inscrire dans la durée en tant que personne et en tant qu’artiste. J’aimerais bien être là aussi longtemps que possible tout en restant aussi naturel et aussi fidèle à moi-même que possible, et ce que font les autres n’a aucun impact là-dessus. » Friends That Break Your Heart « C’est peut-être un peu bizarre, mais ça a d’abord été le titre de l’album, et puis ensuite la chanson. J’ai écrit la mélodie dans la voiture, en allant à un rendez-vous avec [l’auteur-compositeur et producteur] Rick Nowels. Il y en a eu quelques autres qui n’ont pas fini sur l’album, mais celle-ci est tout de suite sortie du lot. C’était super sympa à faire, parce que c’est lui qui s’est occupé des claviers et pour une fois j’ai juste fait l’auteur-compositeur-interprète. J’espère qu’on peut tous s’identifier au passage : “I have haunted many photographs [Je suis un fantôme dans bien des photos]” — euh, en fait non, j’espère pas parce que ce serait vraiment triste, mais j’ai l’impression qu’on est nombreux à ressentir ça. » If I'm Insecure « J’aime bien me lâcher sur des chansons où il y a que de l’harmonie, ou quand la production est particulièrement puissante. Celle-ci fait partie de cette dernière catégorie. C’est une chanson d’amour apocalyptique — c’est la fin du monde, mais on est amoureux, alors c’est pas grave. Ce qui décrit peut-être assez bien l’état de notre société en 2021, alors il semble possible de considérer cet album comme une grosse extrapolation de mon expérience pendant la COVID, même si c’était pas l’intention à la base. Quand j’écris, je comprends très souvent de quoi ça parle après coup.

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