Notre-Dame-des-Sept-Douleurs

Notre-Dame-des-Sept-Douleurs

Klô Pelgag n’a pas chômé depuis L’alchimie des monstres, son premier album paru en 2013. Louangée par la critique, sa pop baroque éclatée lui a valu de nombreux prix, dont quatre Félix au Gala de l’ADISQ en 2017 pour son second opus, L’étoile thoracique. À la même cérémonie en 2018, celle qui est connue pour ses costumes excentriques a remporté la très convoitée statuette de l’interprète féminine de l’année. À ces honneurs se sont greffées de longues heures à enchaîner concerts et festivals sur les routes du Québec et d’ailleurs. Une folle effervescence, qui a eu raison de sa santé mentale. « C’était très intense, raconte l’artiste à Apple Music. Ç’a été un gros tourbillon et je n’avais aucun moment de répit pour créer. Quand on a terminé la tournée du deuxième album, après environ 250 spectacles, j’avais beaucoup de choses d’accumulées que j’avais besoin d’extérioriser. » Ce surmenage tisse la trame de Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, une troisième offrande en carrière pour l’autrice-compositrice-interprète qui a grandi à Sainte-Anne-des-Monts, en Gaspésie. Le titre réfère à une petite municipalité plantée dans le fleuve Saint-Laurent, sur l’île Verte. Un village de plus ou moins 35 résidents permanents dont le nom effrayait celle qui est née Chloé Pelletier-Gagnon. Pour transcender cette peur, mais surtout pour se reposer et renouer avec son art, elle s’y rend en 2019 et dépeint en mots et en musique la part d’ombre qui l’habite. « Je pense que c’est un album limpide et franc. Étant donné que j’étais vraiment à fleur de peau, les thèmes sont très clairs. C’est autant imagé qu’avant, mais t’as moins besoin de chercher le sens. Ça parle beaucoup de relations avec les autres, de désaccords avec eux, mais aussi avec soi. Il y a beaucoup de recherche de bien-être là-dedans. » Cette longue quête d’équilibre qui, selon elle, permet « d’être relativement heureux » émane de Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, dont la sortie était initialement prévue en avril dernier, au moment fort de la pandémie de COVID-19. L’artiste dévoile enfin son nouveau projet et nous propose ici une visite guidée, pièce par pièce. Notre-Dame-des-Sept-Douleurs « Je la vois comme une entrée en matière. Je la compare un peu au lever du soleil : au début il est tout petit, puis une fois rendu en haut, il y a plein de jets de lumière qui éclairent le tableau. C’est quelque chose de fragile et de lent, qui s’élève. » Rémora « Je lisais “Cent ans de solitude” de Gabriel García Márquez, et à un moment donné il parle de “rémora”, et comme je ne savais pas ce que c’était, je suis allée voir dans le dictionnaire. C’est un poisson qui s’agrippe aux autres poissons et qui les vampirise un peu. Je trouvais ça tellement fort et beau comme image! Je me disais que ça fait vraiment écho aux relations toxiques. J’en vivais une durant cette période et j’essayais de m’en défaire. C’est après avoir créé la chanson que j’ai réalisé qu’elle portait sur cette relation-là. » Umami « Celle-là est sortie super naturellement. C’est une toune qui est plutôt enjouée et en même temps, elle parle de cet état dépressif où t’es genre : “Fuck, est-ce que c’est vraiment aussi plate que ça, la vie?” Comme si l’extérieur te coupait toujours l’herbe sous le pied, cassait ton fun. La société, en fait, c’est castrant. On s’en rend compte en vieillissant. T’essaies de changer des choses, de faire des trucs nouveaux, mais c’est une bataille constante de faire ça parce que quand t’es dans un état passif, c’est la merde qui gagne. Ça parle aussi de chercher plus grand que ce qui nous est offert. Musicalement, je la trouve le fun parce que t’as l’impression que c’est une chanson pop légère et finalement, c’est anti-“single”, tu viens juste de toute fucker ce qui semblait pouvoir passer à la radio. » J’aurai les cheveux longs « C’est un appel à la réconciliation. Ça parle d’une relation avortée que j’ai vécue avec une personne que j’essayais de ramener dans ma vie. J’ai de la misère avec le conflit; je suis plutôt du genre proactif, je veux qu’on jase pis qu’on règle les choses. Ça dit : perdons pas notre temps, et aimons-nous les uns les autres. » À l’ombre des cyprès « C’est une toune assez introspective qui porte sur l’autodestruction, le désir de mourir. Musicalement, je me suis pas mal amusée. Mais c’est pas super pertinent d’en parler, faut juste l’écouter. » La fonte « Mon père [décédé en février 2020] a eu une maladie dégénérative. Il était prisonnier de son corps et ne pouvait plus rien faire avec. Donc ça parle de ça, mais aussi de l’espoir que tout redevienne comme avant, qu’il soit en santé, qu’on ait une deuxième chance de profiter l’un de l’autre. Comme si le printemps allait revenir. » Soleil « Quand j’étais enfant, j’ai été hospitalisée deux fois pour une forme d’ataxie qui faisait que je ne pouvais plus marcher. Cette chanson, c’est mon souvenir à l’hôpital dans la chambre que je partageais avec des enfants qui étaient beaucoup plus malades que moi, dont une petite fille qui avait le cancer. Ça parle un peu d’elle, et de ce souvenir flou, car j’étais très jeune, genre cinq ans. C’est une toune un peu “out” [par rapport au reste de l’album]. » Für Élise « C’est la dernière pièce que j’ai écrite pour l’album. Ça parle des ouï-dire, qui sont très présents dans le milieu dans lequel j’évolue. Les gens aiment ça raconter des potins sur les artistes. C’est un genre de ras-le-bol exagéré, condensé dans une toune. » Mélamine « Dans les dernières années, j’ai été en contact avec des gens qui enviaient ma situation. C’est comme “fucked up” de recevoir de la jalousie quand toi, t’es pas bien avec ce que tu vis. Ça parle aussi de ceux qui se victimisent. Avec les réseaux sociaux, j’ai l’impression que tout le monde fait des concours de vertu, genre “je souffre mieux que toi” ». Où vas-tu quand tu dors? « C’est celle dont le sujet est le plus concis. Ça parle de quelqu’un qui est comme stagnant, qui n’a aucun rêve et ne fait que suivre la marche, le troupeau. C’est une drôle de toune musicalement, parce que la tonalité monte tout le temps, mais juste un peu, donc tu t’en rends presque pas compte, mais le corps ressent la modulation d’une étrange façon. À la fin, c’est comme le même thème qui est répété plusieurs fois, mais qui monte et descend. C’est un bon buzz, ça fait fucker le cerveau. » La maison jaune « Elle réfère à la maison où Van Gogh a séjourné pendant un bout, là où il était triste et s’est coupé l’oreille. Pour moi, ça représente l’état dépressif, et la toune dit que je n’irai plus jamais là. C’est un au revoir à cet état-là, je veux plus y retourner, donc bye la maison. L’état dépressif, ça se passe juste dans ta tête; c’est comme si t’es enfermé quelque part et c’est toi qui as la clé. Tu t’es auto-embarré dedans et c’est dur de t’en extirper. Quand t’en sors, tu trouves le moyen de pas refaire les mêmes patterns qui t’ont amené là-bas. Tu jettes la clé pis t’essaies de pas y retourner. » Notre-Dame-des-Sept-Douleurs II « C’est un genre de mini-résumé de l’album. C’est angoissant en intro, et ça finit par un piano assez doux et un synthé un peu “théréminesque”, qui est en fait un Therevox. C’est un instrument fabriqué par un couple de geeks en Ontario. Ça imite les sonorités du thérémine, qui font très “film d’horreur”, et moi je tripe vraiment sur ce son-là. On en retrouve pas mal sur l’album. Ici, ça apporte une certaine légèreté qui fait qu’on prend une distance par rapport au feeling du début de la pièce. C’est comme si tu marchais sur les traces de l’album pis qu’après, tu passais à autre chose. Pour moi, ce projet-là, c’est aussi ça : tu te promènes, tu vois plein de choses très différentes qui t’amènent plein d’états, des trucs assez complexes, des situations, des gens qui se parlent. C’est comme un film. »

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