Shadow Offering

Shadow Offering

« Don’t stop me now, I’m tired of sitting on this fence » (librement : « Ne m’arrêtez pas, j’en ai assez de nager entre deux eaux »), déclare Raphaelle Standell-Preston au milieu du quatrième album de Braids. Une phrase qui témoigne de l’évolution spectaculaire de la formation montréalaise au cours de sa première décennie d’existence. Autrefois le groupe le plus énigmatique et insaisissable de l’indie rock au Canada, Braids s’est affirmé comme un trio de provocateurs art pop courageux avec Deep in the Iris, qui a remporté un Juno en 2015; un album qui adoptait le sens mélodique du R&B moderne et abordait des traumatismes profonds à l’aide de textes d’une franchise décapante. Sur Shadow Offering, l’écriture de Raphaelle Standell-Preston est encore plus téméraire et directe. L’artiste se compromet dans des conversations embarrassantes qui évoquent des ruptures difficiles, des relations avec des hommes plus jeunes pour se consoler, le stress post-traumatique, et son privilège blanc. Le choc viscéral des paroles est intensifié par les arrangements précis et lustrés de l’album : Braids délaisse les expérimentations de textures et confirme son goût pour les sonorités pop avec l’aide du producteur Chris Walla (ex-Death Cab for Cutie). « Avant, on choisissait les 10 premières chansons qu’on avait écrites pour faire l’album », dit la chanteuse. « Dans ce cas-ci, on voulait vraiment peaufiner nos habiletés d’auteurs-compositeurs et se mettre au défi d’écrire des chansons plus concises, plus puissantes. » Raphaelle Standell-Preston et le guitariste Taylor Smith proposent une analyse pièce par pièce du résultat. Here 4 U Raphaelle Standell-Preston : « Après une absence aussi longue, cette pièce est notre façon de dire : “On est toujours là pour vous” et “Cette chanson est un voyage”. Comme sur nos albums précédents, on creuse très profondément, et on voulait juste tendre la main à nos auditeurs dès le début, en leur disant : « OK, on va vous emmener quelque part. » La pièce parle d’une relation qui s’achève et du fait de vouloir rester disponible pour cette personne – même si elle ne le souhaite pas ou qu’elle ne veut plus rien savoir –, en admettant que même si la situation a changé, on peut garder une place importante pour l’autre, sans l’aspect sexuel ou amoureux. » Young Buck RS-P : « J’ai tendance à me prendre bien trop au sérieux, alors c’était le fun de pratiquer un peu l’autodérision dans cette chanson; ça parle des expériences très, très bizarres qu’on fait sur Tinder, et d’essayer de rire de nos erreurs en matière de sexe. On avait déjà commencé à aborder ce côté coquin dans [les simples de 2018] “Collarbones” et “Burdock & Dandelion”, et dans le cas de “Young Buck”, on voulait juste s’amuser, montrer à quel point la vie peut être ridicule, parfois. Taylor appelle ça notre moment confettis. » Taylor Smith : « On a dévié vers ce genre de son au fil des années, et ç’a été un peu une révélation de travailler avec Chris et de voir tout ce qu’il y a derrière une pièce comme celle-ci. Chaque élément qui compose un ver d’oreille est savamment étudié, et tout doit être soigneusement compartimenté. » Eclipse (Ashley) RS-P : « Ashley est ma meilleure amie, une des personnes qui comptent le plus dans ma vie. Cette chanson parle du jour où on est allées dans une carrière pour regarder une éclipse. Elle fait toujours preuve d’esprit, mais de façon désinvolte. Elle a dit : “Avec cette éclipse, je crois qu’on devrait s’interroger sur ce qui nous fait de l’ombre, dans la vie.” C’est en pensant à ça qu’on est allées dans la carrière, et je songeais à cette habitude que j’ai de toujours faire en sorte de saboter mes chances. J’ai été aux prises avec une sévère dépression et avec de l’anxiété, et je peux avoir des idées très noires parfois. Mais je voulais que cette chanson soit aussi enthousiaste qu’Ashley, aussi verte que l’herbe de cette carrière, et Chris a fait un travail d’enfer en nous poussant à faire sonner les guitares à fond. C’est une des premières pièces qu’on a mixées, et ça nous a permis de nous rendre compte du potentiel de cet album, à quel point il pouvait être grandiose. On s’est dit : “C’est ça qu’on vise.” » Just Let Me TS : « À mon avis, la référence pour celle-ci a toujours été Air. Je voulais faire quelque chose d’un peu plus dépouillé, mais en créant délibérément cette sorte de gros ballon au milieu de la pièce. C’est la chanson qui nous a permis d’avoir Chris avec nous – on l’a invité à venir écouter ce qu’on faisait pour le fun au studio, et arrivé à la moitié de la chanson, il a fait une face du genre : “Wow, OK. On tient quelque chose.” Il était convaincu. Pendant une bonne partie du processus d’écriture, cette chanson était plus rapide, avec des percussions saccadées – comme dans “Weird Fishes / Arpeggi” de Radiohead – mais on s’aventurait en zone hostile. Au bout d’un moment, on a compris que l’émotion qui tentait d’émerger des paroles et de la mélodie nous parvenait mieux si on se détendait tous un peu et qu’on lui laissait de l’espace. » Upheaval II TS : « Tout un périple, cette chanson. C’était très différent, au départ – très axé sur le synthé. On l’a jouée quelques fois en tournée, mais elle nous glissait toujours entre les doigts, on ne le sentait pas. On a débloqué quelque chose en la réduisant à juste Raph, moi à la guitare et [le batteur] Austin [Tufts] au piano. On cherche à écrire de meilleures chansons, et à être plus réfléchis dans l’écriture plutôt que d’expérimenter en espérant que des pièces surgissent d’elles-mêmes. C’était la première fois qu’on se disait : “Tiens, on peut juste prendre nos instruments et la jouer ensemble, ça marche”, plutôt que d’avoir besoin de tout l’équipement, de l’acoustique, des textures et de tout ce qui a été notre univers pendant des années. Ç’a été une révélation pour nous, mais à chaque fois qu’on faisait entendre notre démo à quelqu’un, ce n’était pas convaincant. Ce n’est que très tard pendant l’enregistrement, en “jammant” ensemble, qu’on s’est dit : “En fait, si on pousse l’ampli de guitare au maximum et qu’on ajoute une basse de fou, cette chanson est très cool! On peut tout faire exploser, avec ça!” Et c’est la direction qu’on a prise. » Fear of Men RS-P : « Cette chanson s’inspire de “Miniskirt” [sur Deep in the Iris] et de l’agression sexuelle dont j’ai été victime quand j’étais enfant, des longues années de thérapie, du stress post-traumatique que j’ai vécu à cause de ça, de ma crainte des hommes parfois [“Fear of Men”], et du fait de reconnaître qu’après ce genre de traumatisme, on tend à avoir des comportements obsessionnels qui ne sont pas très bons pour nous. C’est très sincère, ça dit les choses comme elles sont – c’est loin d’être poétique. “Miniskirt” était ma première incursion dans ce travail sur moi-même – c’est une chanson qui disait : “Il faut vraiment que je me mette en colère.” Celle-ci, au contraire, dit plutôt : “OK, je commence à aller mieux et à comprendre un peu plus ce qui m’est arrivé.” Je n’avais pas un besoin absolu d’inclure cette pièce sur l’album. À vrai dire, on a failli ne pas la mettre. Mais je trouvais important d’écrire à propos de la prochaine étape de ma guérison. » Snow Angel RS-P : « On a écrit celle-ci après l’investiture de Trump, et c’était très intense; c’était comme si le monde entier venait de basculer. Je me disais : “À quoi va ressembler le monde après trois ou quatre ans sous le régime de cet individu?” Au milieu de la chanson, je me mets à déballer tout mon ressenti; c’est arrivé d’un seul coup, il fallait que ça sorte, et je suis contente de l’avoir fait. Beaucoup de gens, surtout de notre génération, sont vraiment perdus – on ne sait pas exactement comment aider, on ne sait pas quoi faire. Le pouvoir est entre les mains de gens qui n’ont pas le même dessein que nous, et qui n’auront pas à subir les effets des changements climatiques et des politiques mises en place par l’administration Trump, et je m’interrogeais là-dessus. » Ocean RS-P : « Après “Snow Angel”, on s’est dit : “OK, il va falloir faire redescendre les gens et les ramener un peu sur la terre ferme!” “Ocean” parle de quelqu’un que j’ai aimé très longtemps et que je continue d’aimer. C’est compliqué, notre relation a connu différents cycles, mais notre amour est toujours aussi fort et prend plein d’autres formes. C’est difficile de tourner la page, et c’est ce que révèle “Ocean”. J’adore cette chanson. Je pense qu’on m’entend pleurer. » Note To Self TS : « Nos albums précédents sont empreints de sentiments et d’émotions intenses, et ne promettent pas nécessairement la lumière au bout du tunnel. Ici, Raphaelle a fait le choix de ne pas laisser l’auditeur dans cet état. On y trouve une idée d’assurance, d’espoir et d’ancrage. On savait tous plus ou moins que cette pièce allait clore l’ensemble de l’œuvre, et pendant très longtemps, cette chanson n’était composée que de chant et d’un piano extrêmement doux. Mais au fil du temps, c’est devenu évident qu’on pouvait vraiment s’affirmer dans l’émotion. Avec certaines chansons, on envoie du gros son, des percussions imposantes, et ça semble gratuit ou facile. Mais pour celle-ci, avec sa construction poétique, on avait l’impression que tout ce qu’on ajoutait nous revenait au centuple, donc on a absolument tout donné. J’aime l’idée qu’avec cette pièce, on crée le contraste le plus vaste possible : elle commence de manière hyper intime et se conclut aussi puissamment que l’enregistrement le permet. »

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