Lovers Rock

Lovers Rock

Comme la majorité des artistes qui font paraître un album au printemps 2020, The Dears ont écrit et enregistré leur huitième effort bien avant que la crise de la COVID-19 ne plonge le monde en hibernation et dans un état incertain. Pourtant, le meneur de la formation indie rock montréalaise, Murray Lightburn, ne peut s’empêcher de s’émerveiller du synchronisme troublant de Lovers Rock. En effet, l’album emprunte son nom à un sous-genre reggae des années 70 afin de désigner une planète imaginaire où les Terriens les plus romantiques peuvent trouver refuge, en laissant derrière eux un monde qui court à la catastrophe. « Il y a beaucoup de gens en ce moment qui ressentent ce que nos fans ressentent depuis des années, mais pour des raisons différentes », dit Lightburn à Apple Music. « On est tous dans le même bateau maintenant, mais nombreux sont ceux qui ont toujours vécu avec ce sentiment. On le sait, et c’est pour eux qu’on chante. » Dans les sujets abordés et la complexité des compositions, Lightburn voit des similitudes évidentes entre Lovers Rock et leur chef-d’œuvre de 2003 No Cities Left, un autre album qui a puisé dans le tumulte de son époque avec clairvoyance (la guerre en Irak et l’épidémie de SRAS). Mais comme il le révèle dans cette entrevue pièce par pièce, Lovers Rock est un savant mélange d’éléments – des hymnes rock symphonique vertigineux, de luxuriantes ballades soul, des expérimentations champ gauche issues de la discographie complète de The Dears. Vingt ans après le premier projet du groupe, Lovers Rock constitue une sorte de rétrospective composée de nouvelles chansons. Heart Of An Animal « J’ai écrit cette pièce entre Missiles [2008] et Degeneration Street [2011], et elle atterrissait systématiquement dans la pile des démos réservés à l’album suivant, sans jamais dépasser cette étape. Quand on s’est réunis pour travailler sur ce nouveau projet, je me suis dit : “Bon, on a le champ libre. On n’a aucune idée du thème de cet album, pourquoi ne pas commencer par cette chanson et voir où ça nous mènera?” Étrangement, on a bâti l’album autour de cette pièce. Je n’avais pas de boule de cristal, mais sur le plan thématique, ça correspond parfaitement à ce que j’avais en tête en écrivant les autres pièces; je pensais au discours qu’on entend actuellement. Cette nouvelle façon de communiquer sur Internet est un peu brutale. Souvent, les gens expriment leur opinion sur le vif, simplement parce qu’ils en ont la possibilité, sans se soucier du mal qu’ils font. C’est assez nouveau, on dirait un forum de discussion chaotique. Autrefois, les forums ne rassemblaient que des communautés réduites, 200 personnes peut-être. Aujourd’hui, le forum est mondial, et les gens sont attaqués de toutes parts. » I Know What You’re Thinking And It’s Awful « L’an dernier, un fait divers a fait les manchettes à propos de jeunes recherchés pour meurtre au second degré et ça m’a sidéré, surtout parce que j’envisageais les faits sous une perspective parentale; je me disais que les parents avaient dû vraiment l’échapper pour que leurs enfants fassent une chose pareille. Ça m’a rappelé une phrase que mon père nous disait souvent : “Je te connais comme un livre.” Ça voulait dire : “Je te connais bien, tu as une idée derrière la tête, mais je ne te laisserai pas faire!” Un jour, mon père a dit cette fameuse phrase à mon grand frère, qui s’est retourné en disant : “Est-ce que je suis un best-seller?” Et mon père n’a pas pu garder son sérieux, il a éclaté de rire. C’est devenu une blague courante, chez nous. Après ça, chaque fois qu’on avait des ennuis, mon père disait : “Je te connais comme un livre... et tu n’es pas un best-seller!” Ça résume bien ses méthodes d’éducation. Et c’est de cette anecdote que s’inspire la chanson. » Instant Nightmare! « Cette pièce évoque le fait d’admettre que peu importe la situation dans laquelle on se trouve, peu importe l’idée qu’on vous vend, c’est une arnaque. C’est une affirmation abstraite, mais j’ai l’impression que les gens vont comprendre, et qu’ils vont réfléchir à ce qui se passe de nos jours. On voit des gens sur Internet parler de la COVID-19 comme d’un “virus chinois” et de “complot avec l’OMS”. Ça s’applique aussi à la corruption en politique et à beaucoup d’autres choses. » Is This What You Really Want? « Pour moi, ce morceau s’adresse directement aux gens que je rencontre en tournée, et traite de ce qu’ils me disent. Quelqu’un nous a envoyé un message, l’autre jour : “Vous m’avez empêché de me suicider à une époque de ma vie.” Et cette chanson peut rappeler aux gens, quand ils se sentent désespérés, qu’ils peuvent essayer de se remettre en question et de pousser un peu leur réflexion. J’espère que ça les aidera à s’en sortir. Je pense qu’à travers cet album, on essaie de dire aux gens qu’on continue de les écouter, et qu’on chante encore pour eux. Notre muse, c’est la relation qu’on a avec nos fans. On a cette vocation très particulière, et notre album en général montre qu’on assume complètement ce rôle. Ne vous attendez pas à ce qu’on sorte une chanson du genre “Appelle-moi sur mon cell” ou “On sort dans une discothèque”. On ne va pas dans les discothèques! » The Worst In Us « On s’inquiétait un peu, parce qu’on trouvait que la rupture au milieu de la chanson faisait un peu trop penser à Madness. Je voyais plutôt ça comme une rencontre entre Tears for Fears et Talk Talk, mais c’est sûr que la vibe évoque la britpop de ces années-là. La structure de la pièce s’inspire un peu de No Cities Left – c’est une façon différente de composer, on envisage la musique comme un mouvement, ce n’est pas un morceau rock classique. Mais la gestion des fichiers pour cet album n’a pas été agréable – c’était l’enfer. Je ne souhaiterais pas ce processus à mon pire ennemi ingénieur. » Stille Lost « Il fallait que j’aille au studio montréalais Hotel2Tango pour récupérer du matériel, et [le saxophoniste du E Street Band] Jake Clemons était en train d’enregistrer. Il attendait son bassiste et il m’a demandé de l’accompagner jusqu’à son arrivée. Je l’ai rejoint et j’ai commencé à jouer de la basse – très mal – avec Jake et son groupe! Quand on fait un album avec The Dears, je fais appel à Liam O’Neill pour le saxophone [ex-membre de The Stills, actuellement avec Kings of Leon], mais il n’habite plus à Montréal. Et puis je me suis souvenu que j’avais joué avec Jake, donc j’ai demandé ses coordonnées au directeur du studio, Howard [Bilerman]. Jake tournait beaucoup, moi également, mais on essayait de se réserver une journée, ce qu’on a réussi à faire à la toute fin. La dernière chose qu’on a enregistrée pour l’album a probablement été ce passage de la chanson. Il est venu chez moi, on a mangé du spaghetti, on a passé un moment ensemble. Il avait apporté deux saxophones, dont un qui avait appartenu à son oncle [Clarence Clemons] et qu’on entend sur l’album. J’étais honoré qu’il apporte cet instrument. » No Place On Earth « Que ce soit sur le plan du concept ou de la composition, je pense qu’il y a beaucoup de similitudes entre cet album et No Cities Left. Mais on m’a fait remarquer que ce nouveau projet avait aussi des points communs avec Gang of Losers [2006], et cette chanson en particulier est une sorte d’amalgame de ces deux univers. Ça deviendrait presque agressif, mais les cordes puissantes viennent adoucir un peu l’ensemble. Cette pièce est cruciale pour le concept de l’album selon lequel on imagine Lovers Rock comme un lieu. S’il n’y a plus de villes (“no cities left”), on essaie d’aller ailleurs. Si on n’a nulle part où aller, peut-être que c’est Lovers Rock qu’il faut trouver. C’est juste une idée. On aurait pu explorer un peu plus dans le théâtral ou la science-fiction, mais il s’agit davantage d’un lieu existentiel que physique. » Play Dead « Il y a une ambiance à la “Baby, It’s Cold Outside” dans cette pièce. C’est censé être une chanson réconfortante – la chanson parfaite pour se remonter le moral. Elle ne plaît pas à tout le monde, mais je pense qu’elle a sa place sur l’album. » Too Many Wrongs « Cette chanson pourrait facilement figurer sur notre premier album [End of a Hollywood Bedtime Story, paru en 2000], et je dirais presque que c’était voulu. On veut montrer qu’on est restés fidèles à nous-mêmes, que si on a beaucoup évolué au cours des 20 dernières années, on peut pondre une pièce qui aurait sa place sur notre premier album, tant sur le plan sonore que sur celui du concept. J’ai même sorti des guitares que j’avais utilisées à l’époque – pas les mêmes guitares, mais les mêmes modèles. Quand on a fait notre premier album, on m’avait prêté une Hagstrom de 1971, et on reconnaît son timbre dans Lovers Rock, mais sur cette pièce, c’est vraiment flagrant. Ça me rappelle la pièce “This Is a Broadcast”. Je me sentais nostalgique. » We’ll Go Into Hiding « On arrive au moment où on décide de s’échapper, de se couper de tout, et de se recentrer sur ce qui est important. On se laisse facilement distraire, aujourd’hui. Rester concentré demande un immense effort : on est constamment en train de faire défiler nos écrans et les distractions sont partout. Des fous dirigent le monde libre et l’information est un matraquage incessant de panique et de peur. C’est très facile de perdre de vue le plus important. On peut espérer qu’en cette période sans précédent, la population se recentre un peu. Quand on fait la promotion de notre musique, ce n’est pas uniquement pour que les gens achètent nos albums; c’est cette idée qu’on défend. »

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