Death Of An Optimist

Death Of An Optimist

De la pandémie aux manifestations, 2020 a été une année marquée par un chaos impitoyable. Nous voilà arrivés à son dernier mois, et l’auteur-compositeur torontois établi à L.A. Jordan Benjamin, alias grandson, nous offre un premier album qui a toutes les allures d’une bombe vibrant au diapason des tensions qui secouent notre monde. Amplifiant l’énergie agitée de son succès rock alternatif de 2017 « Blood // Water », Death of an Optimist dévoile un Benjamin rageur comme un chanteur folk des années 60 qui aurait été téléporté dans les États-Unis d’aujourd’hui, ravagés par la politique et ayant le trap comme trame sonore (sans oublier un saut rapide dans les années 90 pour faire provision d’albums de Nine Inch Nails). L’album concept a beau aborder la condition actuelle des États-Unis par ses références à la dépendance, au militarisme et aux épidémies, Death of an Optimist n’en demeure pas moins un documentaire sur la guerre perpétuelle entre espoir et cynisme qui se déroule dans l’esprit de Benjamin. Tout au long de l’offrande de 12 pièces, la crise existentielle de Benjamin – construire un monde meilleur ou jeter la serviette? – prend la forme de personnages – grandson l’idéaliste et son alter ego nihiliste baptisé X – qui se livrent une lutte sans pitié pour le contrôle de son âme. Le tout avec des collaborateurs invités comme Mike Shinoda de LINKIN PARK et Travis Barker de blink-182 qui jouent les arbitres. « J’ai passé deux ans en tournée avec des chansons comme “Blood // Water” et “Thoughts & Prayers” qui sont colériques, mais optimistes quant à l’imminence d’un changement », raconte Benjamin à Apple Music. « Sauf que ce progrès a ralenti encore plus que je pouvais le prévoir avec tous ces revers très publics comme le Brexit, ou le fait de voir Beto O’Rourke perdre à nouveau contre Ted Cruz. J’étais très confus, je me demandais si j’étais trop naïf ou idéaliste. Ce genre de pensées a commencé à s’insinuer en moi et j’ai voulu que mon album soit vraiment honnête et imparfait dans ce sens. Il y a des chansons pleines d’espoir de changement et de désir de se battre pour ce changement, et d’autres qui sont remplies d’incertitude, de critiques et de confusion. » Benjamin nous propose ses commentaires pièce par pièce sur ce combat de lutte conceptuel. Death of an Optimist // Intro « Dans l’introduction, j’ai voulu reproduire la peur viscérale que je ressens chaque soir sur scène, celle de passer pour un idiot ou, pire encore, d’être complètement oublié, parce que j’avais de l’espoir dans une période de désespoir. Je me joue ces différents scénarios d’une chanson chantée dans une pièce vide. Elle prend racine dans des questions nihilistes, comme quand on se demande si on fait tout ça pour rien. C’est dans ces moments que X commence à parler. Je tenais à présenter d’entrée de jeu ce personnage et la peur qui m’habite de devenir comme lui. C’était aussi l’occasion de proposer quelque chose de plus dramatique que ce que j’ai fait auparavant, un truc qui ressemble aux trames sonores de Hans Zimmer. On entend ma famille chanter le refrain au beau milieu de toute cette cacophonie à la fin de la pièce. Ç’a été un moment cool : j’ai réussi à inclure tout le monde sur mon premier album! Ça n’aurait pas été pareil sans eux. » In Over My Head « Voici un sujet qui a toujours fait partie de ma vie : remettre l’autorité en question. J’ai grandi dans un environnement d’où beaucoup de gens ne partent jamais. C’est un peu comme un aquarium, et c’est facile de s’y sentir claustrophobe. Vous regardez autour de vous et vous voyez des gens qui vivent, se marient, ont des enfants et meurent dans le même indicatif régional. J’ai toujours remis ça en question et je ne savais pas où j’allais aboutir. J’ai depuis longtemps l’impression qu’il y a quelque chose qui m’échappe et que je dois aller au fond des choses. Je me sens vraiment seul et même épuisé, des fois, à cause de ce sentiment. Mais j’ai aussi l’impression que je peux accomplir tout ce que je veux, et je tenais à exprimer ça dès le début de l’album. » Identity « Bon, je vous ai présenté mon côté optimiste [sur “In Over My Head”], et voici mon côté pessimiste! La vie n’a rien de linéaire, alors pourquoi mon album devrait-il l’être? Ici, il est question d’une crise d’identité où, comme sur la pièce d’introduction, je me demande : si personne ne se souvient de nous, tout ce qui s’est produit dans notre vie est-il vraiment arrivé? Est-ce que tout ça avait un sens si ça n’a aucun impact sur la vie de qui que ce soit? J’ai écrit ça en une trentaine de minutes. Il y avait plein de trucs qui me tracassaient. Il y a une phrase qui dit “Mass epidemic/No mask is gonna mask it” (librement : “Épidémie massive/Aucun masque ne parviendra à masquer ça”), et j’ai écrit ça en janvier! Je ne sais pas trop d’où j’ai sorti cette phrase, mais je me suis senti bizarre quand le confinement a commencé. Ouais, c’est assez sombre et il y a un “drop” très colérique qui rend hommage à Nine Inch Nails. » Left Behind « Je pense que le texte de “Left Behind” est essentiellement la thèse de l’album. On veut s’accrocher à l’espoir, mais c’est OK de le remettre en question et d’avoir peur. Je voulais défendre une cause, mais je n’ai pas envie d’être seul à la manif. L’imaginaire de beaucoup de jeunes aux États-Unis et au Canada a été captivé par la montée de la gauche progressiste en politique. Malheureusement, ces idéologies n’ont pas encore pris racine dans les hautes sphères du pouvoir, où coopération et diplomatie sont nécessaires pour pouvoir arriver à un quelconque progrès bipartisan. C’est à ce moment que je me demande : est-ce si naïf de croire qu’on pourrait prendre soin de nous-mêmes et de nos voisins d’une manière beaucoup plus progressiste et ambitieuse? Ou alors sommes-nous trop idéalistes et nous ne vivons pas dans le monde réel? Voilà de quoi il est question dans cette chanson. » Dirty « Mes anciennes pièces où j’incitais les gens à agir avaient un sens de l’urgence beaucoup plus aigu, dans le genre : “Réveillez-vous, merde, ça se passe en ce moment même et si vous ne faites rien, vous aller devoir payer pour votre apathie.” Avec “Dirty”, je voulais changer de tactique pour les gens que mon ancienne approche ne rejoignait pas. Je n’avais pas encore compris comment faire appel à notre humanité et à notre compassion. Je ne savais pas comment écrire une chanson de grandson joyeuse, parce que les sujets que j’aborde me mettent tellement en colère. Je suis allé à Nashville pour écrire, ce que je n’avais jamais fait avant, et j’ai eu la chance de travailler avec des auteurs-compositeurs qui m’ont encouragé à puiser mon inspiration chez les artistes que j’aimais quand j’étais jeune, mais pour qui je n’avais pas encore trouvé de place dans le projet grandson. Celle-ci est donc un clin d’œil à Amy Winehouse et à OutKast, une production un peu rétro avec un texte très contemporain. » The Ballad of G and X // Interlude « Tout l’album a été écrit avant le confinement, mais c’est durant le confinement que le personnage de X a pris forme plus clairement dans mon esprit, et je me suis assuré qu’il serait parfaitement intégré à la trame de l’album. Cet interlude m’a donné l’occasion de laisser délibérément cette dichotomie s’exprimer. Je continue à voir le monde comme si j’étais un optimiste, et X dit : “On ne peut pas revenir en arrière.” Je fais quelque chose, il fait le contraire. Pendant ce temps, je regarde autour de moi et tout le monde semble avoir tout compris. Alors je me demande : pourquoi c’est si difficile pour moi de tout comprendre? » We Did It!!! « Une partie de la culture pop que je préfère et dont je m’inspire est celle des années 90. J’adore utiliser le sarcasme pour faire passer un message. J’adorais South Park, j’étais un fan fini du Slim Shady LP, du Marshall Mathers LP, de Marilyn Manson et de Nirvana. J’adorais cette attitude des années 90, ce contraste entre le sarcasme autodérisoire et des revendications très sérieuses au sujet de trucs qui se déroulent devant nos yeux. C’est ce que j’ai voulu faire avec celle-ci. » WWIII « J’ai trouvé l’inspiration pour cette chanson en discutant avec des fans qui sont dans l’armée, et pour moi c’est une autre forme que peut prendre la question : “Quel est le but de tout ça, en fin de compte?” Sauf que pour eux, ça se déroule dans un scénario où il y a tant à perdre, tant de conséquences, et pas seulement pour ceux qui ont la chance de rentrer à la maison et d’endurer une vie de douleur et de confusion, mais aussi pour les communautés où ces guerres ont lieu. Ces pays, ces cultures sont totalement ensevelis par ces luttes géopolitiques dont on ne comprend souvent pas les tenants et aboutissants. » Riptide « Travailler avec Mike Shinoda est toujours un défi très amusant. Il est d’une telle précision… Il est carrément obsédé par le résultat qu’il cherche à obtenir, ce qui lui paraît être la meilleure façon de faire quelque chose. J’ai toujours admiré ça : même après avoir vendu un godzillion d’albums et même s’il est considéré comme un des auteurs-compositeurs les plus accomplis de sa génération, même après 20 ans, il est aussi avide et curieux que n’importe quel jeune artiste émergent que je connais. Il n’y a aucune limite à ce qu’on peut apprendre de lui lorsqu’il est question de création et de production musicale. On a écrit cette chanson au début de 2019, mais elle a été enregistrée vers la fin du processus. C’est une croisée des chemins pour X : on voit la motivation et l’intention derrière le cynisme de ce personnage qui a fait du mal à de bonnes personnes et qui se sent aveuglé par ses propres vices. C’est un peu comme une fissure dans les fondations de ce personnage cynique qui pourrait nous mener à une conclusion plus ambiguë. J’avais envie d’écrire un album qui se termine sur une note nihiliste, mais je n’étais pas à l’aise avec ça. Je ne souhaite pas contribuer à un sentiment d’impuissance ou de désespoir dans le monde en général, même si j’en suis moi-même parfois victime. Je savais que je voulais conclure sur une note plus optimiste, et peut-être que “Riptide” est un indice que ce X n’a pas tout compris, lui non plus. » Pain Shopping « Je ne sais même pas lequel des deux personnages raconte cette histoire. Je suis seulement épuisé et las de me battre. Il y a plein de confusion et ça n’a plus aucune importance dans quel camp on se trouve. Qu’on soit manifestant ou contre-manifestant, on se rend parfois compte qu’on se place en situation de conflit simplement pour avoir un sentiment d’appartenance. “Pain Shopping” est une expression que ma copine a utilisée au début de l’année, et c’est un concept que je comprends très bien, car j’ai été dans des relations toxiques, je me suis vautré dans des façons de penser et de mauvaises habitudes qui n’étaient pas bénéfiques pour moi, et le plus souvent, c’était pour refouler des problèmes que je n’avais pas encore réglés. Au fil de mes tournées, j’ai rencontré tellement de gens qui sont attirés par ce genre de musique parce qu’elle exprime leur colère d’une manière viscérale. J’avais envie d’écrire une chanson qui a cet effet pour tout le monde. » Drop Dead « S’il y a une seule personne qui est réellement à la jonction entre culture hip-hop et culture rock, c’est Travis Barker. Travailler avec lui était vraiment le fun. Rien ne se compare à être assis dans la salle de contrôle pendant que Travis Barker enregistre ses pistes de batterie. C’est tellement gratifiant. Je suis un vrai fan de blink-182 et j’adore l’album de Machine Gun Kelly qu’il vient de produire. Pour la fin de cet album, je voulais un ingrédient comme l’optimisme que suscitent les chansons de blink. Je souhaitais conclure avec ce message, parce que c’est comme ça que je me sens : malgré tout ce bruit, tout ce qui a obscurci le passé cette année, il faut continuer à mettre un pied devant l’autre. C’est cet esprit que je tenais à inspirer aux gens. » Welcome to Paradise // Outro « J’ai collaboré avec mon auteur-compositeur préféré sur cette pièce : Ross Golan. Il est incroyablement talentueux et il touche à plein de styles musicaux. Ça aurait pu être la première chanson de l’album, mais il y a quelque chose de cool à conclure comme ça. Elle comporte une certaine incertitude silencieuse : vous m’avez accompagné dans ce périple, je vous ai présenté mes meilleurs arguments pour vous inciter à vous lever et à défendre vos convictions, tout en vous offrant de bonnes raisons de croire que tout ça ne sert à rien. On va où, maintenant? Je pense que “Welcome to Paradise” est un pas dans cette nouvelle direction. »

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