Maudit Silence

Maudit Silence

Huit ans après À la croisée des silences, Chloé Sainte-Marie nous invite à plonger dans l’aventure de Maudit Silence, un autre album double enraciné dans la littérature. « La musique que je fais part toujours de textes, de poèmes. La poésie, lorsqu’elle est chantée, a une autre portée que lorsqu’elle est publiée », a expliqué l’artiste à Apple Music. Ses discussions avec l’auteur et géographe Jean Morisset ont nourri le projet. « Son livre Sur la piste du Canada errant, paru aux Éditions du Boréal, m’a fait voir notre histoire maltraitée ou cachée. Je suis partie de sa recherche de toute une vie pour concevoir cet album-là comme un documentaire. » Les écrits de Joséphine Bacon, Nancy Huston, Louis Riel, Jack Kerouac et Mathias Carvalho constituent les pierres d’assise de cette œuvre généreuse mise en musique par Yves Desrosiers et produite par François Richard. Entre les chansons, des poèmes issus des trois Amériques, en langues autochtones et créoles, servent de fil conducteur entre le Nord et le Sud. « Je ne suis pas allée à l’université. J’ai appris par la paume des pieds, en marchant le territoire, et par mes rencontres », a confié Chloé Sainte-Marie, qui nous présente les pièces phares de son nouveau projet. E Tapue – Maudit Silence « C’est un poème que j’ai demandé à Joséphine Bacon pour l’album. Quand je suis avec elle, je suis toujours frappée par l’impression qu’elle est un poème en marche, un poème qui parle. Elle m’a dit : “Le silence, ça fait peur. Et quand il devient un silence maudit, il faut qu’il parle.” C’est ça, le maudit silence. C’est quand on a un bâillon sur la bouche, qu’on nous empêche de parler, qu’on voit sa langue mourir. Ça colore tout le projet. » Kondiaronk Kondiaronk « Le travail s’est étiré sur six années, et ç’a commencé avec “Kondiaronk”. Pour le 375e anniversaire de Montréal [en 2017], on voulait faire un hommage à l’homme qui est à l’origine de la Grande Paix, en 1701. Pendant cette cérémonie-là, il est mort, et son corps est enterré à la Pointe-à-Callière. J’ai pris conscience que je ne connaissais pas mon territoire ni les grands noms de la libération de mon propre peuple. L’album part du désir d’essayer de réparer une erreur grave. Parce que quand on ignore son histoire, c’est difficile de connaître l’autre et de l’aimer. Sur la pièce, on entend la voix de Christian Laveau, un Huron-Wendat qui a été le chanteur du spectacle Totem du Cirque du Soleil. Kondiaronk étant un Huron, je tenais à ce que ce soit un Huron qui le personnifie. À la fin, on psalmodie les noms des 40 nations qui sont venues à Montréal pour la Grande Paix. » Ti Katkat « C’est la première des quatre chansons en créole haïtien de James Noël, qui parlent de la nature et de l’humour de son peuple, des dictateurs et de l’indépendance de son pays, qui paie encore et toujours. Je suis allée à Haïti en 2015, James était là et je tenais à chanter cette langue qui ressemble beaucoup à notre créole canayen, pour qu’on puisse voir que c’est notre langue aussi, qu’on comprend tout. “Ti Katkat”, c’est l’histoire d’une petite voiture qui se promène et qui fait une sorte de décollage dans Port-au-Prince. Ça dit : “Plaque l’État, l’essence de l’État, vitesse de l’État, déhanchement de l’État.” J’ai procédé par sonorités. Le son, parfois, devance le sens du mot. » Si tu veux parlez apropos d’Neil « J’ai pris ce texte dans La vie est d’hommage, publié aux Éditions du Boréal, qui rassemble toute l’œuvre canayenne créole de Kerouac. Cet auteur-là n’a pas de restriction mentale, il est libre et il nous libère. On dit ça, “crapule, tas de marde, enfant de chienne, bâtard”, j’ai entendu ça toute mon enfance. Mais je ne l’ai pas souvent lu dans un poème. C’est le premier texte que j’ai choisi [pour l’album], parce que je trouvais qu’il exprimait totalement notre créolité libre. Kerouac disait que quand il écrivait en anglais, il faisait fitter la langue dans les french images que le Yankee ne voit pas. Je pense que c’est ça qui le rend unique. C’est un grand libérateur d’ici, comme Louis Riel. » O Libertador « C’est un texte des années 1850 de Mathias Carvalho, un Portugais qui a écrit des poèmes sur de grands noms de la libération comme Bolívar, Tiradentes, Toussaint Louverture. C’était un contemporain de Riel et il a fait un poème sur lui. À l’époque, il n’y avait pas de télévision, pas d’avions, mais ça montre que Riel a tout de même eu une portée internationale. Comment [Carvalho] a su que Riel était un résistant pour la nation métisse, alors qu’il était au Brésil? C’est fou, ça s’est rendu jusque-là! C’est vraiment impressionnant. » Ne sont pas ceux qu’on pense « C’est une chanson en hommage aux écrits de Riel, qui a publié des poèmes de jeunesse, avant d’être un résistant et un héros. Avec Jean [Morisset], on a choisi son texte sur toutes les nations autochtones : les Corbeaux, les Têtes-Plates, les Gros Ventres, les nations de l’Ouest. Tout s’est imbriqué. Pour l’instrumentation, c’est très beau ce que François Richard a fait. C’est comme si cette chanson était flottante, avec les violons, la contrebasse, le violoncelle. Je crois que tout le monde va être surpris de découvrir ces nations qui portent de beaux noms poétiques. On a donné à entendre des peuples. » Plain Song Song of a Plain Man « “Plain Song”, c’est Nancy Huston, la grande féministe, la grande… Je ne sais pas comment la définir! J’étais très intimidée [à l’idée de collaborer avec elle]. J’ai d’abord découvert son recueil de poésie Terrestres, je connaissais Ultraviolet, Cantique des plaines, mais je n’avais pas tout lu d’elle. Je lis peu de romans, mais Nancy, je rêvais de la chanter. Jean Morisset la connaît depuis au moins 30 ans et l’a invitée à venir voir mon spectacle À la croisée des silences. C’est comme ça qu’on s’est liées d’amitié. Cette chanson, c’est toute l’histoire des Plaines, de l’Ouest, de l’Alberta. C’est l’histoire d’un grand amour impossible qui arrive dans une vie “plain”, d’une personne ordinaire qu’un grand amour a rendue grande. » Channmas « Celle-là, on l’a faite avec un groupe haïtien-québécois qui s’appelle Rara Soley. [Les membres] ont joué et chanté sur les quatre pièces en créole haïtien. Cindy Belotte chante sur “Onondipè”. Ce sont des percussionnistes hors pair. Quand j’ai vu le vidéoclip d’“Ayibobo”, qui est magistral, je me suis dit que c’était sûr qu’ils allaient faire le tour de la planète. La musique reflète le texte de James [Noël] : “Peuple pète, pète peuple, régime glauque de charognard, vas-y pète, le dilapideur de peuple, de pays.” Le rythme est dans tous ces “p”. François Richard a fait un travail incroyable avec les percus, le son. C’est une chanson qui est une charge, un cri de rage, même s’il y a de l’humour. » Robert Robert « J’ai dit à Yves Desrosiers, mon compositeur : “Si ça dure 20 minutes, ça durera 20 minutes. Il faut aucune censure, laisse-toi aller dans ce texte-là.” C’est l’écrivaine Dalie Giroux qui m’a envoyé [ce texte de Kerouac], qui n’est pas dans La vie est d’hommage. Quand je l’ai reçu, j’ai tout de suite compris qu’il fallait que je le chante. On s’est lancé·es là-dedans, et je l’ai incubé dans mon sang. Les Robert, c’est nous. C’est une toune-fleuve qui donne toute l’histoire d’un peuple. Musicalement, il y a le piano, mais toute l’instrumentation est très variée. C’est tout petit, puis ça devient gros, très percussif. C’est une transe et une prière en même temps. Je ne sais pas dans quel état était Kerouac quand il a écrit ça, mais c’est comme un texte testament, un texte de fin du monde et de fin de vie. C’est tellement beau! Il y a une liberté là-dedans que j’ai rarement vue. »

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