Saskadelphia - EP

Saskadelphia - EP

De sa formation en 1984 à la mort du chanteur Gord Downie en 2017, The Tragically Hip n’a jamais cessé d’évoluer. Mais il n’y a probablement pas de tournant plus marquant dans leur carrière que la période entre leur premier album complet Up To Here, sorti en 1989, et Road Apples, paru en 1991. C’est l’époque où le quintette de Kingston, en Ontario, a commencé à puiser dans une veine plus passionnée et poétique du rock qui allait le catapulter bien au-delà du petit groupe de blues qu’il était à ses débuts. Plusieurs chansons ont été perdues lors de cette transition – des pièces qui ont longtemps été des incontournables en concert et qui auraient dû figurer sur Road Apples quand son enregistrement a commencé à La Nouvelle-Orléans. Ces chansons sont tombées dans l’oubli jusqu’en 2019 lorsque le New York Times révèle que le tristement célèbre incendie des entrepôts d’Universal Studios de 2008 avait détruit 100 000 pistes maîtresses – dont probablement celles du groupe. L’information a incité ses membres survivants à faire le bilan de leurs archives personnelles. Résultat : ils ont mis la main sur des extras parfaitement conservés de Road Apples, qui constituent aujourd’hui Saskadelphia. (Ce titre, inspiré par la perte de repères due aux tournées que les Hip faisaient à l’époque, avait été abandonné au profit de Road Apples.) « J’hésitais à peser sur “play” parce que je me disais : “Ces pièces n’ont pas fini sur l’album.” Je n’en attendais pas grand-chose », dit le guitariste Paul Langlois à Apple Music. « Mais ces chansons m’ont littéralement pris aux tripes, au point où je me suis demandé pourquoi elles avaient été écartées. » Étant donné le mythe qui s’est construit autour de The Tragically Hip au fil des années, c’est un vrai régal de réentendre leur son d’origine, indomptable. Mais parmi les pièces rock rappelant les Stones et les rassemblements cowpunk qui figurent sur Saskadelphia, la mélancolique « Montreal » – écrite à la suite du massacre de l’École Polytechnique en 1989 – laisse entrevoir le talent de Gord Downie pour évoquer des histoires profondément intimes sur fond de faits historiques. (Incapable de retrouver l’enregistrement studio original pour Road Apples, la formation a décidé d’inclure une version en concert, enregistrée à Montréal en 2000, à l’occasion du 11e anniversaire du drame.) Paul Langlois et le bassiste Gord Sinclair nous ramènent au moment clé de l’histoire du groupe, à travers ce guide pièce par pièce des trésors retrouvés pour Saskadelphia. Ouch Paul Langlois : « Comme [le guitariste] Robbie [Baker] l’a mentionné, “Ouch” ressemble un peu à “Twist My Arm” [la pièce phare de Road Apples], qu’on a choisie à l’époque. Mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi bon. Je me suis dit : “Seigneur, ce groupe joue vraiment bien!” » Gord Sinclair : « C’était spécial comme époque, en musique, parce qu’on s’éloignait du blues. Les styles rock alternatif et country alternatif débarquaient en Amérique. C’est aussi à ce moment-là que les Red Hot Chili Peppers et Fishbone sont devenus populaires – avec cette espèce de basse lourde qui claque. On écoutait ce qui se faisait, on s’essayait, on touchait un peu à tout. Mais avec “Twist My Arm” et “Ouch” sur le même album, on nous aurait pris pour un groupe funk rock californien. » Not Necessary PL : « Je me rappelle avoir joué celle-ci très souvent au Kingsway Studio de Daniel Lanois, où on enregistrait. On avait du fun, on habitait à côté, et on faisait rien que ça : enregistrer dans cette superbe vieille maison hantée. On a beaucoup joué cette chanson. C’est accrocheur. Les compagnies de disques veulent toujours un succès, et elle avait du potentiel. Mais apparemment, on l’a écartée. » Montreal GS : « Malheureusement, on n’a retrouvé que les deux tiers des enregistrements qu’on avait faits pour Road Apples, et on n’a jamais pu réécouter la version de “Montreal” qu’on avait créée. Mais je devine qu’à l’époque, on n’avait pas obtenu le résultat qu’on visait. Il n’y avait pas Pro Tools et le numérique, dans ce temps-là – on enregistrait sur des bandes magnétiques et on jouait tous ensemble en direct, toutes les versions les unes après les autres, jusqu’à ce que ça convienne. Peut-être que dans le cas de “Montreal”, ça n’avait pas été assez bon. En tout cas, les paroles avaient une énorme résonance, et on a déterré cette version en concert parce qu’on tenait vraiment à inclure cette chanson particulière. » PL : « Selon Robbie, c’est au moment du rappel qu’on a décidé de jouer cette pièce à Montréal [en 2000]. Gord [Downie] n’était pas sûr, mais on a décidé de la faire. Je crois qu’un de nous a vérifié les paroles sur Internet. Mais ç’a toujours été un morceau dont on se sentait proches. Ce qui s’est passé [à Polytechnique] est tellement horrible et choquant... Je pense qu’on était très liés à cette chanson parce qu’elle représentait une espèce de réconfort. » Crack My Spine Like a Whip PL : « C’est une pièce qui remonte à nos débuts – peut-être juste après Up To Here, parce qu’on la faisait en tournée. C’était du rock full pin, et très avant-gardiste. On a toujours aimé jouer ce genre de chansons. Encore une fois, je suis surpris qu’elle ne soit pas sur Road Apples. Encore plus que les autres, ça paraissait évident pour tout le monde qu’elle serait retenue. » GS : « On la jouait systématiquement dans nos rappels. Mais quand on est arrivés à La Nouvelle-Orléans, on a écrit “The Last of the Unplucked Gems” et “Little Bones”; c’était une époque très prolifique. Ça roulait, et certains morceaux pourtant solides comme “Crack My Spine Like a Whip” et “Not Necessary” ont pris le bord. » Just As Well GS : « C’est aussi une chanson qu’on a écrite dans la foulée d’Up To Here. On l’a beaucoup jouée en spectacle avec l’idée de la faire évoluer et d’observer la réaction du public. Mais on avait probablement tellement d’autres morceaux qu’elle a tranquillement dégringolé en bas de la liste des pièces potentielles à mettre sur l’album. J’étais vraiment content de réaliser à quel point j’aimais encore cette chanson. Elle a une belle énergie. J’imagine que d’autres pièces de Road Apples l’ont détrônée, comme “Born In the Water”. Je pense qu’on avait la ferme intention d’enregistrer un album qui ne serait pas 100 % rock. » PL : « On a toujours aimé “Just As Well” pour son riff classique des années 60. C’était peut-être pas du Chuck Berry, mais c’était très inspiré par ce genre de performance. Puis elle est descendue au bas de la liste, sûrement parce qu’elle ressemblait plus à un hommage au rock & roll de la part de fans finis, avec un riff comme celui-là. Mais plus que les autres, elle m’a beaucoup impressionné quand je l’ai réécoutée pour la première fois, l’été dernier. Je m’en souvenais, mais en l’entendant je me suis dit : “Wow!” Elle m’a vraiment jeté à terre. » Reformed Baptist Blues PL : « Quand j’ai intégré le groupe [en 1986] – on me considère toujours comme le nouveau –, cette pièce était un incontournable en concert. Elle est de Gord [Sinclair], facile à jouer et très entraînante. Je pense qu’elle était déjà symbolique avant qu’on lance notre bébé album [le EP éponyme de 1987] dont on ne parle pratiquement jamais. » GS : « J’étais sous le choc quand [le batteur] Johnny [Fay] nous a appris qu’il avait retrouvé une version de celle-ci. Je ne me souviens pas avoir joué ce morceau à La Nouvelle-Orléans. Peut-être que le directeur artistique a dit un truc comme : “Videz-moi ces armoires pour voir si un succès se cache là-dedans.” J’avais complètement oublié qu’on la jouait en concert. » PL : « Mais merci à Johnny d’avoir retrouvé cet enregistrement, parce que j’ai toujours adoré cette chanson. »

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